PIETRO ANTONIO LOCATELLI (ca 1695 – 1764)
Concerti grossi op. 1 n° 11, op.1 n° 8 (Pastorale), op. 7 n° 6 « Il pianto d’Arianna ». Concertos pour violon op. 3 n° 2 et 11.
Isabelle Faust (violon), Giardino Armonico, Giovanni Antonini. Harmonia Mundi.
Enregistré en décembre 2022 au Euregio Kulturzentrum Gustav Mahler de Toblach (Italie)
par Hugues Deschaux. Très bel équilibre entre la proximité de la prise de son, qui révèle tous
les détails des contours instrumentaux, et le soutien réverbéré du lieu qui nourrit, enrichit discrètement l’ampleur de la scènesonore. Tantôt le violon solo se détachesubtilement de l’ensemble,tantôt s’yintègre jusqu’à par fois fusionner.
Il y a deux ans, llya Gringolts glanait un Diapason d’or pour trois concertos de Locatelli (Bis, cf. n° 700), dont l’Opus 3 n° 11 en la majeur qu’lsabelle Faust et Giovanni Antonini ont également inscrit à leur programme. La confrontation révèle les différences d’approche : le premier prenait des risques inouïs, quand la nouvelle venue est souvent plus pondérée, mais aussi plus diverse dans ses caractérisations. Faust possède une intonation plus immaculée que son confrère, et si le geste est moins virevoltant, l’inventivité s’y fait plus raffinée. Ecoutez, dans l’Opus 3 n°2 en ut mineur, la magistrale progression de l’ultime capriccio, ces cadences facultatives et diaboliquement virtuoses insérées par Locatelli dans ses concertos. Et cette virtuosité est d’autant plus démoniaque que Faust maîtrise son archet et ses élans à la perfection. En comparaison, quelle délicatesse dans le volet initial de l’Opus 3 n° 2 ! Il Giardino Armonico est aussi plus fin que l’Orchestre baroque de Finlande (avec Gringolts). Loin de l’image qu’il s’est formée dans ses premières années, l’ensemble italien a gagné en moelleux, modèle les phrasés, dose les nuances et les accents comme pour éviter un discours trop appuyé, trop prévisible. La diversité des timbres (qui semble faire l’objet d’une recherche de tous les instants particulièrement gratifiante), la mise en avant, subtile, de contrechants dans l’orchestre donnent un éclat merveilleux au finale de l’Opus 3 n° 11. En regard de Gringolts, qui déployait dans le Largo précédant une aria de prima donna, Faust file plus droit mais dialogue davantage. Les mouvements lents d’« Il pianto d’Arianna» prouvent avec force qu’elle sait aussi chanter. Car aux deux concertos pour violon, nos interpretes ajoutent deux concerti grossi, dont cet Opus 7 n°6 qu’Antonini et son Giardino avaient déjà gravé en 2004 (« La casa del diavolo », Naïve). La nouvelle lecture accuse moins les angles, affiche davantage de variété – grâce aussi à une soliste plus souple, plus lyrique, à la sonorité plus séduisante. Vibrer ou ne pas vibrer offre un potentiel que Faust exploite à fond. On admire partout des nuances soigneusement étagées, la palette d’une exemplaire plasticité, un discours animé sans caricature. L’album annonce « Il virtuoso, il poeta ». C’est bien de cela qu’il s’agit ici, un mélange de caprice et de raison, de fantaisie et de construction qu’appelle la poésie.
(Loïc Chahine)
[Diapason, 1 Sept 2023, N° 725]